Il est très étonnant de sillonner la campagne de ce coin du Poitou, entre Thouars et Loudun, et de voir surgir au détour d’un virage cette majestueuse abbatiale située sur une colline et dominant le petit bourg qui porte son nom.

Au IVe siècle, Jovinus (ou Jouin) choisit ce lieu isolé, appelé Ension, pour y installer son ermitage. Autour de cette fondation, s’est développée une communauté monastique qui adopte, dès le VIIe siècle, la règle de Saint Benoît. Mais l'essor et la prospérité naissent après l'arrivée, en 843, des moines de l'abbaye de Saint-Martin-de-Vertou, près de Nantes, fuyant devant les raids normands. La première abbaye, dédiée à Saint-Jean l'Evangéliste, est construite à cette époque.

Une architecture romane classique

C’est en 1095 que commence la construction de la nouvelle abbaye, sous l'impulsion du moine Raoul. Ce dernier devient ensuite abbé, vers 1100. Trente années plus tard, l'édifice est achevé.

Le projet est ambitieux et l’abbatiale, de 72 mètres de long et de 15 mètres de hauteur sous voûtes, est l’une des plus grandes églises romanes du Poitou. Son plan bénédictin à déambulatoire et chapelles rayonnantes est d’un grand classicisme. Il rappelle celui de Notre-Dame-la-Grande de Poitiers, construite quelques années plus tôt non loin de là, et de manière plus générale celui des églises dites "des Chemins de Saint-Jacques-de-Compostelle".

D'abord voûtée en berceau plein-cintre, comme en témoignent les trois premières travées de la nef et les deux bas-côtés, la voûte est ensuite remplacée, dans le courant du XIIIe siècle, par des croisées angevines semblables à celles de l'église voisine de Saint-Pierre d'Airvault. Mais malgré ces remaniements, l'ensemble dégage une harmonie que soulignent à peine les quelques sculptures discrètes des chapiteaux. Seule la croisée du transept a eu droit à un programme sculpté un peu plus développé, avec ses chapiteaux historiés.

Une façade écran typiquement poitevine

La sculpture est bien plus présente à l'extérieur. D'abord, les lignes architecturales sont soulignées par des décors floraux et géométriques ainsi que par de fines colonnettes. Toutes les parties de l'église portent ces mêmes types de décors, depuis les soubassements de l'abside et des trois chapelles rayonnantes, jusqu'au clocher carré percé de baies en plein cintre.

L'essentiel du décor sculpté se trouve sur la façade-écran, bien qu'il faille ici aussi remarquer une grande sobriété, surtout si on la compare à la façade-écran de Notre-Dame-la-Grande de Poitiers. Il est sans doute plus pertinent de la rapprocher de la façade de l'église Saint-Pierre de Parthenay-le-Vieux, tellement la structure des deux ouvrages est proche, avec leurs colonnes rythmant verticalement l'ensemble. Toutefois, les deux clochetons qui encadrent la façade de Saint-Jouin de Marnes ressemblent à s'y méprendre à ceux de Notre-Dame-la-Grande, bien que plus élancés.

Chacun des trois étages possède un programme sculpté qui lui est propre. Le porche roman, encadré de deux portes latérales, a des voussures ornées de masques, des travaux des mois et d'ornements végétaux. Le second niveau est celui des baies vitrées. Quelques statues de saints et de figures historiées surmontent ou encadrent les ouvertures : Saint Paul, Saint Pierre, Saint Jouin, l'Annonciation, ... Enfin, le pignon triangulaire présente une procession sculptée qui rejoint la Vierge, elle-même située aux pieds d'un Christ-juge assis devant la Croix et entouré d'anges.

Une histoire mouvementée

La Guerre de Cent Ans, les Guerres de Religions, la Révolution sont autant d'évènements qui ont laissé des traces sur l'abbaye de Saint-Jouin-de-Marnes.

L'occupation anglaise de la région, à partir de 1356, a occasionné de nombreux dégâts à l'abbatiale et aux bâtiments conventuels. A la fin du XIVe et au XVe siècles, la restauration du cloitre et la fortification de l'église deviennent nécessaires. Pendant les Guerres de Religions, ce sont les oeuvres d'art qui souffrent du vandalisme.

Avec le XVIIe siècle, l'abbaye connait un nouvel essor qui se manifeste par des travaux de restauration et par la réalisation d'oeuvres mobilières, notamment le retable peint de l'autel de la Vierge et les stalles sculptées du choeur. Mais la Révolution est passée par là et l'abbaye est vendue comme bien national et partiellement détruite. Seule l'abbatiale est épargnée et rendue au culte en 1795.

En 1862, la Commission des Monuments Historiques décide son classement. Depuis lors, elle reste une référence dans l'histoire de l'art médiéval mais demeure malheureusement en dehors des circuits touristiques du fait de son isolement.